« J'entends des voix la nuit. », disait-il.

-Ca doit être un cauchemar, attends, on va aller chez le médecin, ou à la bibliothèque, on va emprunter des livres, tu vas réussir à gérer ce problème, tu vas v- »

Sur la table de nuit du jeune Abe, il y avait déjà dix livres sur « comment apprendre à s'endormir de la meilleure manière », avant de dormir, il devait faire dix positions de yoga différentes, il avait échappé de peu aux cachets endormissants (merci les médecins, eux avaient cerné le problème concernant cette maman hypocondriaque certainement – le diagnostic était vite fait et précaire, mais ce n'étaient certainement pas eux qui allaient refilé des cachets pour endormir un cheval à cet enfant de six ans.)

Les voix qu'entendait le petit Abe s'étaient déclenchée peu après ses cinq ans, peu après la mort de son grand père maternel. Depuis, il avait eu le droit à des séances de psy, abandonnées rapidement par sa mère au prétexte que de la médecine douce de la sorte ne lui convenait pas. Abe n'avait jamais connu son père, il ne vivait qu'avec sa mère dans le même logement que sa grand-mère. Enfant, il appréciait cette maison dans laquelle il se sentait heureux d'évoluer, très vite, il ne put plus voir le moindre tatami et chaque recoin de ces murs lui donnait des cauchemars.

D'abord, il y avait cette voix qui l'empêchait de dormir, même quand il était très fatigué, elle lui susurrait des choses, des trucs à l'oreille du style « dis à ta grand-mère que tout va bien, je... », le reste des paroles étaient plus ou moins compréhensibles, parfois, il avait l'impression d'entendre des choses, d'autres fois non. Les bouchons d'oreille ne suffisaient pas, chaque jour, il était plus fatigué que l'autre et le yoga ne semblait pas être une solution.

Abe en était venu à se méfier des adultes. D'abord de la maîtresse d'école qui lui demandait la nature de ses étonnantes cernes, qui s'étonnait de sa non-sociabilité et qui parlait avec ses autres collègues dans son coin. Abe ne voulait pas être renvoyé de nouveau chez le psychologue, encore moins chez quelqu'un pour les gens encore plus bizarres. Il avait peur, c'était un gamin de neuf ans, presque dix maintenant, il y avait bientôt la pression de la future entrée au collège et il gérait ça très mal. Sa mère ne semblait toujours pas penser qu'il entendait de vraies voies, il commençait à les entendre sur le chemin de l'école ou pire, dans certaines salles de classe.

Il pleurait souvent en cachette.

Ce qui le sauva fut sans doute le retour de son père, ou plutôt leurs retrouvailles. Il ignorait que sa mère et lui étaient toujours en relation et que ce dernier possédait également ce qu'ils appelaient une « Alice ». Il ignorait pourquoi ils avaient choisi ce mot si féminin pour certains pouvoirs si compliqués, mais commença à s'y faire. Ces derniers jours avec son père avaient semblé si courts,  mais il lui avait proposé une solution à son problème, cette académie qui devait l'aider à gérer son Alice, comme lui l'avait fait dans un lieu légèrement différent mais quasiment identique plus jeune.

Il était difficile de faire confiance à un total inconnu, mais lorsque celui-ci faisait voler les fleurs de la manière la plus majestueuse qui soit, il était dur de ne pas le croire, non ? Même s'il voyait un peu la trahison dans les yeux de sa mère, c'était inespéré : il se sentait si fatigué, il avait enfin une explication, une bonne, et puis, les parents pouvaient parfois être logés à l'extérieur de l'académie pour un temps, non ?

Ce fut ainsi que Abe commença l'école.

Les voix ne cessèrent pas pour autant mais se calmèrent au contact de limiteurs. Les personnes de l'académie étaient comme lui, mais si différentes. Il finit sa primaire, passa le collège pour entrer au lycée sans pour autant être persuadé de l'utilité des cours qu'il pouvait suivre, voulant creuser plus profondément quant à la maîtrise de ce pouvoir qu'il n'arrivait pas à aimer. Il avait beau être un gosse fatigué et docile quand il était arrivé ici, ses échecs en matière de maîtrise de son Alice l'avaient rendu quelque peu hargneux, ronchon aurait-on pu dire.

On faisait avec, la vie continuait malgré tout, ou la mort, au fil des conversations plus ou moins compréhensibles, des lassitudes ou des mots de réconforts.

« Bon, maintenant que tu m'as bien raconté toute ta vie, tu me laisses pioncer en paix ? »

On lui avait dit qu'il fallait les laisser épancher leurs peines. Qu'ils lui foutraient la paix après ça.

Tu parles.

Une belle connerie, ça aussi.