De sa mère, Helios se rappelle de son amour.

Son premier souvenir est une sortie en famille.
Sa sœur le tient par la main, sa mère le regarde avec tendresse. Il se rappelle du sable chaud entre ses doigts de pieds et de l’eau translucide. Il rit, il commence à courir. Mais il voit quelque chose au loin. Quelqu’un l’observe, en retrait. HElios se souvient de cette chevelure blonde et de ses yeux d’or, les mêmes que les siens. Il semble vouloir dire quelque chose, mais il est trop loin pour qu’il l’entende. Quand leurs regards se croisent, une pensée le submerge.

 Fais attention à toi, mon fils.

Helios est né dans une famille atypique. Sa mère n’est pas mariée et travaille en tant que coiffeuse à Okinawa. Il a une sœur dont le père est un mirage, une erreur d’un soir. Elle ressemble à sa mère, elle en est presque une copie conforme.


Mais Helios a de la chance, lui, il connaît son père.

Son père n’est pas d’ici, il vient de loin, très loin. On le voit sur son visage, on l’entend dans sa voix, encore plus quand il parle cette langue que seuls eux deux comprennent. L’enfant ne vit pas avec lui, il connaît son existence, mais il ne le côtoie pas encore.

Son père n’aime pas sa mère comme un mari aime sa femme. Sa mère lui a expliqué qu’elle a été très triste de ne pouvoir présenter un père à sa sœur. Elle a voulu un autre enfant, et cette fois elle a voulu quelqu’un sur qui elle peut compter. Son père et sa mère sont des amis d’enfance. « Les meilleurs », dit sa mère en plaisantant. Elle sait que lui fera tout son possible pour être là pour elle, pour lui, pour eux.

Sa demi-sœur l’appelle « Oncle », Helios l’appelle « Papa ». Il travaille dans un café en ville. Il vient souvent passer la soirée dans la demeure. Son père parle fort, il irradie de confiance, ne prend jamais rien au sérieux. Malgré tout, il reste distant, Helios ne sait pas vraiment comment il le sait, mais c’est une certitude. Il a même l’impression qu’il est plus à l’aise avec sa demi-sœur.


Sa famille est aussi porteuse de dons extraordinaires. Sa mère lui a montré un jour quand il pleurait. Les couleurs de ses cheveux se muaient, elle dansait en se diluant et se recomposant inlassablement. Il sait que son père aussi a un pouvoir, mais il ne sait pas lequel, avant ce jour à la plage.


Son père lit les pensées et peut voir ceux des autres.


Premier jour de maternelle pour Helios, sa mère ne peut pas quitter le salon, elle demande alors à l’étranger d’accompagner son enfant. Ils ne se retrouvent pas souvent seuls, juste lors des appels de sa tante en Italie. Il lui prend la main, cette minuscule main et ils marchent. L’homme parle, converse avec son enfant de tout et de rien. Le jeune garçon répond un peu à côté, un peu intimidé, mais son aîné sait exactement ce qu’il veut transmettre. Ses pupilles d’or lisent dans les siennes, maintenant Helios le comprend vraiment.


Devant le portail, il ne veut pas le franchir. Son père, cet être aussi loin que proches le baisse et le prend dans ses bras. Ce n’est pas la première fois, mais il sent quelque chose de différent, comme une reconnaissance. « Ca va aller, tu vas tous les éblouir. »Il parle toujours avec une pointe d’orgueil, mais c’est pour toi qu’il le fait aujourd’hui. Il est heureux, Helios. Il peut donc y aller, le cœur léger.

Son père a un autre sourire à son départ, bien loin de l’amusement ou de la moquerie. Il y a de la bienveillance dans l’air, celle que l’on regrette lorsqu’elle disparaît.


Les premiers jours sont durs, parce qu’il comprend qu’Helios, personne ne sait le prononcer en dehors de ton cercle familial. On s’agglutine vers lui et leur regard n’est pas comme ceux des autres. Helios a l’impression d’être une curiosité. On lui pose des questions sur les mots qu’ils prononcent quand il ne sait pas en japonais, on lui dit que son visage et ses yeux sont bizarres. Il y aussi quelques garçons qui t’ont bousculé. Mais son père a fait un scandale, menaçant enfants et parents de divulguer des secrets aux moindres faux pas.

Helios considère son père comme un héros.

A la maison, l’ambiance commence à changer un peu. Sa mère reste fidèle à elle-même, mais sa sœur veut de moins en moins jouer avec le petit frère. Elle se crispe quand son père prononce son nom. Il lui demande pourquoi. «  Toi, t’as un père, tu peux pas comprendre ». L’enfant ne saisit pas, il n’a pas les clés pour appréhender. Helios ne rend pas compte que l’attitude de son père à changer à son égard. Il est plus présent, ils partagent de plus en plus de choses. Il est véritablement son fils, il l’a réalisé un peu tard. il se rattrape en lui apprenant la musique, en placant ses doigts sur le clavier chromatique. L'enfant apprécie ces moments, mais il ne l'associe pas à du favoritisme.

C’est un peu bizarre, mais cela va s’arranger, c’est ce que pense Helios.

Mais cela ne sera pas le cas. Son père, qui a toujours été là, part en voyage, seul. Sa mère lui dit que c’est une urgence, alors l’enfant ne réfléchit pas plus loin, il n’a que 6 ans. En pleine nuit, il l’entend son nom. Helios se lève et voit son père. Il n’arrive pas à lire son expression, mais il sent que quelque chose ne va pas. Son père parle de son voyage, mais il entend un autre discours dans sa tête, un discours triste, un peu de culpabilité aussi. « Je vais devoir m’en aller un petit moment.» Adieu mon fils. 

C’est la seule fois où il voit des larmes sur les yeux de son père. Il lui demandera pourquoi la prochaine fois qu’il le reverra. Mais il n’est pas revenu. Il est parti, ne laissant que quelques lettres à ton chevet, mais tu n’arrives pas à les lire.

« Tu sais Elvio… Ton père, a un passé très compliqué et il y a de méchantes personnes qui le recherchent, mais tu sais, il t’aime très fort », a dit sa mère.

Sauf que les méchants, c’est la police. On parle de Visa expiré, on parle de contact avec la mafia locale, et le monde d’Helios s’écroule. Ce père qui le prenait dans ses bras, qui veillait sur lui et sa sœur, qui est-il véritablement ?

Et toi Helios, toi qui es de son sang, qui a grandi avec son amour et ses manières, qui es-tu ?

Il a caché les lettres sans trop savoir pourquoi. Les interrogations se multiplient, mais ta demi-sœur s’éveille, en changeant la couleur de sa peluche. Il n’y a pas de sursis, sa mère fait le choix le plus dur de sa vie. Elle contacte d’anciens d’amis, et elle explique à ses deux enfants qu’ils vont être envoyés dans une école où sa sœur pourra apprendre à contrôler son don.

Mais Helios n’arrive plus à suivre, il a six ans et il est trop jeune pour tout supporter. Il veut effacer ses doute, que tout redevienne comme avant.

Alors, à l’arrivée sur le port, l’enfant rectifie son prénom «  Haru. » Personne ne l’appelle ainsi, mais il faut faire disparaître Helios, faire disparaître ses racines gênantes. Il veut lui aussi ne plus avoir de père ne plus avoir aussi mal.

Haru arrive donc à Howalon avec une sœur qui l’ignore et des lettres indésirables au fond de son sac. Les années passent, la plaie se panse à son rythme.

Haru a 11 ans et maintenant qu’il n’est plus à vif, il peut enfin se poser les questions qui n’ont jamais eu de réponse.

Qui es-tu ?