C'est une mauvaise journée.

Tu t'es levé.e la boule au ventre, l'envie de rien faire au bout des doigts après un énième cauchemar où les coups pleuvaient plus que l'eau ne tombe des nuages. Le pas un peu lourd, tu t'es tout de même efforcé.e à aller en cours, des pockys plein les poches pour te donner du courage. L'angoisse qui n'a fait qu'augmenter au fil de la journée, au fur et à mesure des cours et des devoirs à rendre, des TPs à produire. Tu es revenu.e dans ta chambre en essayant de te persuader que ça allait, que tu pouvais le faire, que ce n'était que quelques petites révisions à effectuer, que tu as déjà eu deux fois plus de choses à faire et que tu as toujours fini par t'en sortir mais
si les crises d'angoisse se passaient vraiment comme ça
tout serait bien plus simple.

Tu as fondu en larmes sur un schéma de mitochondries et tu te sens pathétique, incapable de quoi que ce soit, incapable de faire quelque chose de bien – tu n'y arriveras pas c'est ce que ton cerveau s'acharne à te répéter et cette fois, Haru n'est pas là pour endiguer la crise.

Tu as besoin de prendre l'air,
besoin de flotter un peu – besoin de légèreté alors tu t'es levé.e et tu as décidé d'aller le voir en espérant qu'il soit là
qu'il ne soit pas autre part.

Tu es désormais debout devant sa porte de chambre, hésitante, les yeux encore un peu rougis par les pleurs ; ne sachant pas si tu devais t'exposer comme ça, déjà, peut-être était-ce trop tôt mais tu as juste besoin de te sentir soutenu.e et aimé.e alors
alors
tu toques
et tu croises les doigts.

La porte s'ouvre et ce n'est pas quelqu'un d'autre qui apparaît en face de toi, ce n'est pas une petite fille ou un petit garçon avec qui Jessie est probablement en colocation, non, c'est Jessie en personne qui t'ouvre et le soulagement est si grand que tu es sur le point de pleurer de nouveau. Ca va? qu'il te demande et tu es incapable de répondre quoi que ce soit. Pas le temps de rassembler tes pensées, d'imaginer l'après, tu n'as rien prévu, rien préparé, rien imaginé, trop pris.e sur le moment pour penser correctement, que déjà il te fait entrer, te tire doucement par le bras. Tu te laisses faire, docile, la culpabilité qui grimpe le long de ta gorge comme du lierre grimpe aux murs d'une vieille bâtisse, c'est une vieille amie elle aussi. L'impression d'être un boulet et de déranger tout le monde, incapable d'exprimer quoi que ce soit lorsque tu devrais probablement t'excuser de le déranger, obéissant simplement à ses instructions, t'asseyant sagement sur le lit en venant lisser ta jupe comme tu le fais toujours lorsque tu angoisses un peu trop.

« Je suis désolée... » Finis-tu par murmurer, incapable de le regarder dans les yeux tant tu as honte de toi. « De te déranger. Promis, il n'y a rien de grave. » Parce que tu ne veux pas qu'il s'inquiète pour toi, parce que ça n'est vraiment rien, pas grand chose ; parce que tu ne mérites pas la panique que tu vois dans son regard – parce que tu ne mérites rien. « C'est juste... Une mauvaise journée ? » Petite grimace lorsque tu prononces ces mots, tu inspires profondément pour refluer les mauvaises pensées – un peu en vain.

Elles ont été là toute la journée,
bien ancrées.

« J'avais envie de te voir. » Tu rougis un peu et pinces tes lèvres. « Je suis désolée de te déranger. » Que tu répètes alors, comme un mantra, incapable de penser à autre chose qu'à ça – tu déranges, Tetsu.

Besoin de le voir, besoin de le sentir, de te rappeler que tu n'es pas seul.e, besoin de lui en particulier – tu ne sais pas pourquoi, ou peut-être que tu ne veux pas le savoir (la peur qui t'étreint la gorge rien que d'y penser). Un frisson te traverse lorsque ses doigts se posent sur ton échine, viennent caresser ta colonne vertébrale, tu apprécies le contact et ça te surprend toi-même. Tu n'aimes pas trop qu'on te touche lors des crises d'angoisse, habituellement ; le moindre contact qui te brûle un peu trop, mais cette fois, Jessie ne te brûle pas, il ne te fait pas mal, tu sens tes muscles se décrisper un peu, se délier lentement, tu prends une grande inspiration, son odeur à plein poumons. Et il s'approche, te prends dans ses bras, tu fermes les yeux, te laisse aller, te laisse couler contre lui, tu te sens déjà mieux, tellement mieux que tu pourrais en pleurer.

Tu voulais le voir, tu sais désormais pourquoi ; parce qu'il te fait du bien, comme personne ne t'a fait du bien depuis très, très longtemps.

Il te demande ce qu'il se passe et ta bouche se tord dans une moue gênée, tu pinces tes lèvres et viens même les mordiller, tu as l'impression d'en faire des caisses pour rien, t'as peur de le déranger, t'as peur de plein de choses en vérité, de passer pour une faible, une dégénérée, une assistée. Pourtant tu t'efforces d'ouvrir la bouche, de parler. Ca fait toujours du bien de parler, du moins c'est ce que ton psy n'a de cesse de te répéter. « Je me suis réveillé.e ce matin et ça n'allait pas bien. J'arrive à rien avec les cours, et je ne fais qu'enchaîner les crises d'angoisse. Je me sens bonne à rien, incapable de faire quelque chose de bien. » Ta langue se délie et tu as du mal à reprendre ton souffle, tu bouges la tête pour nicher ton nez dans son épaule, inspirer un peu plus de son odeur. « Ce n'est pas très important, ce n'est pas très grave non plus, ça va passer, mais voilà, c'est une mauvaise journée aujourd'hui. » Rien qu'aujourd'hui, du moins tu l'espères.

Il te serre contre toi et cela faisait longtemps que tu ne t'étais pas sentie aussi adorée, aussi bien protégée. Cela fait longtemps qu'un homme n'a pas été aussi tendre avec toi – cela fait longtemps que tu n'as pas laissé un homme être aussi tendre avec toi. Tu fermes les yeux, profites de l'étreinte, tu laisses les mots te venir petit à petit, aveux soufflés, murmurés. Ca va passer que tu dis comme un mantra, l'habitude de le dire à tout va, pour rassurer tout le monde, même quand t'es toi-même pas sûr.e que ça aille. Tu as parfois l'impression que tu ne réussiras jamais à fuir cet étau dans lequel tu te sens prisionnier.e ; dans lequel tu te sens serré.e, étouffé.e. Et c'est au tour de Jessie de te dire des mots doux, presque comme des mots d'amour, et c'est tes maux à toi qui se calment, qui s'apaisent.
La
p e u r
a disparu
tu t'en rends compte au dernier moment,
lorsqu'il n'y en a plus un seul grain
tu n'as plus envie de
m o u r i r
pour que ça s'arrête.

Tu redresses le nez pour le regarder, lui et uniquement

plongé.e dans ses yeux, tu te noies mais ça n'est pas douloureux
non
ça n'est pas douloureux
c'est plutôt comme
une chanson douce
(un air familier)

et tu dis
tu souffles
« comment fais-tu ça ? » pour être celui qu'il est, pour avoir cet effet sur toi. « Comment fais-tu pour être aussi doux ? » Et ton nez qui revient se nicher contre son cou, qui vient inspirer son odeur
tu flottes, Tetsu
tu dois te l'avouer maintenant
tu es accroché.e, déjà
tu as
de le perdre.

Il te propose de faire autre chose pour te changer les idées et un sourire illumine la pièce, tu te rends compte que c'est le tien qui brille comme un soleil.
« J'ai envie de lire contre toi. » Oui, comme la dernière fois
la dernière fois où vous vous êtes plus embrassés qu'autre chose (et l'envie de recommencer ça aussi)
(les baisers papillons, qui secouent ton estomac)
« Me prêterais-tu un livre ? » Que tu lui demandes, les yeux presque suppliants.