Serrer les dents,
serrer les poings,
encaisser les coups
fermer les yeux
ne plus penser à rien (essayer).

Personne ne devrait s'habituer à ça, pourtant c'est le cas. Ca te passe presque au-dessus, maintenant. Avant, les larmes qui coulaient mêlaient douleur et peine, maintenant elles ne sont plus constituées que de souffrance pure. Et lorsque tu entrouvres les yeux et que tu tombes sur son regard rempli de haine, lorsque tu peux presque sentir les effluves de l'alcool qui parcourt ses veines, tu te dis qu'un jour, oui, un jour, tu changeras de père et tout sera mieux.

Tu t'es raccrochée à cette idée – tout finira par aller mieux – et tu as serré les poings,
serré les dents
encaissé les coups.

***

Ton Alice est apparut à tes sept ans, et il t'a paru tout à fait normal de discuter avec les chiens que tu croisais dans la rue. Ca n'a pas arrangé les coups qui se sont mis à pleuvoir, les insultes et les autres accusations de mensonges – aussi folle que ta grand-mère paraît-il. Maman qui sait, elle ; maman qui hésite, l'école ne serait-elle pas mieux que les coups et l'alcool ? Maman ne sait pas – se souvient de ce que lui a raconté sa mère, à propos de cette fameuse école. Pas envie qu'on lui arrache son enfant mais l'envie de le sauver des coups qui se battent à l'intérieur d'elle. Maman qui, finalement, ne fait pas de choix. Attends que ça passe.

Arrête supplies-tu une fois, deux fois. Dix fois. Qui le crie, de plus en plus fort, et ton Alice qui se déclenche malgré toi, les animaux qui viennent à ta rescousse qui lui sautent dessus le déchiquette le déchire le lacère sous ton regard presque apeuré. Ton corps a prit la décision pour maman : tu ne peux plus (le) te cacher, l'Académie est venue dès qu'elle a entendu parler de l'accident.

***

Ce n'est pas si mal, l'académie. Au moins, il n'y a plus personne pour te taper dessus. Les regards étranges lorsque tu sursautes au moindre bruit trop fort ou au moindre geste trop brusque, tu n'en as cure. Tu es dans la moyenne dans tes études, ni trop bonne ni trop mauvaise ; tu apprends à contrôler ton don, à l'étendre au maximum, autant que tu as pu le faire lorsque tu l'as supplié d'arrêter. Mais voilà, Tetsu ; tu grandis, et avec viennent les hormones, les questionnements, sur tout – ton orientation, ton genre, ta féminité, l'élitisme de l'école qui fait que tu as à peine deux étoiles à dix-sept ans.

En-dehors de l'académie, tu n'as jamais été assez bien pour ton père, qui a trouvé tout un tas de choses à te reprocher pour lever la main sur toi. A l'intérieur de l'académie, tu n'es pas assez bien non plus pour revoir ta mère, pour avoir de bonnes notes, pour te permettre d'assumer qui tu es réellement – pas cis, pas hétéro. Et ça, c'était inacceptable. Tu as beau t'être créé un bon cercle d'ami.e.s auxquels tu tenais particulièrement, sans qui tu ne serais jamais celle que tu es maintenant, ça n'était pas suffisant. Tu as commencé à crier, de plus en plus fort, de plus en plus régulièrement, pour tes droits et ceux de tous ceux qui t'entourent, qui se cachent, qui se taisent.

Toi, tu en avais marre de te taire, de t'écraser, de te laisser frapper.

Ca n'a pas plu à l'académie, bien évidemment. Leur image élitiste et hétérocentrée en prit un sacré coup, alors ils t'ont transféré à Howalon, puisque de toute façon, la relation polyamoureuse de la Directrice avait déjà annoncé la couleur de la « dépravation » du lieu.