Nul ne peut apprendre aux autres à se libérer s'il n'a pas commencé à se libérer lui-même.

Et vous, je vous demande quel rôle jouez vous ?

Saleté de pluie.
Saleté d’Académie.
Saletés de grands-parents qui se sont débarrassés de lui dès que possible.
Sale journée.
Jun ne supporte plus de se traîner dans les couloirs de l’académie. Il ne supporte plus de voir tous ces élèves de tout âge, de devoir les côtoyer contre son gré. Il a même du mal à supporter son colocataire et essaye de ne rester dans sa chambre que le strict minimum : arriver tard en espérant qu’il dorme déjà, partir tôt avant qu’il ne se réveille. Non pas qu’il ait quelque chose à lui reprocher, mais il aurait préféré être seul dans sa chambre - pour y rester enfermé une grande partie de la journée et éviter les cours à venir. Mais ce n'est pas possible, alors Jun a trouvé d’autres solutions.

Aujourd’hui, par exemple, le blond a décidé de partir pour une petite escapade un peu avant l’heure du repas. Deux bonnes heures avant l’heure du repas en fait. À sa sortie, il ne pleuvait que très peu et Jun pensait bêtement que cela s’arrêterait. Idée stupide. Le voilà en train de remonter vers les bâtiments de l'académie, complètement trempé malgré sa veste à capuche, ses écouteurs vissés à ses oreilles pour essayer de ne pas trop ruminer.  Il n’entend donc pas ce qu’il se trame autour de lui, que cela soit les cris de la professeure, les paroles de la petite qu’elle poursuit. En tout cas, pas avant que la batterie de son téléphone ne rende l’âme, emportant avec elle la musique du lycéen.

Juste à temps pour attendre la demande de la professeure. Demande tronquée quand elle le reconnaît.
Il n’aurait peut-être pas dû se battre le lendemain de son arrivée. Peut-être que de cette façon, elle n’aurait pas su qui il était et n’aurait pas décidé de le prendre en grippe/

« Des devoirs avant la rentrée ? » Jun répond instinctivement, presque surpris par l’imagination bien trop développée de cette femme - qui prépare des devoirs alors que les cours n’ont pas encore repris sérieusement ? -, avant d’être coupé par la petite tête bleue qui s’est interposée.

Il l’aime bien cette gamine ; voir qu’elle n’a pas peur de répondre à sa prof l’amuse. En fait, elle lui fait penser à une autre gamine qui le collait à l’Académie Alice. C’est sûrement pour ça qu’il ne peut s’empêcher de sourire avec amusement avant de lancer un regard du même acabit vers l’adulte qui lâche finalement l’affaire. Pendant une seconde à peine, il la plaint : si elle n’arrive pas à se faire obéir d’une enfant seule avant le début des cours, comment fera-t-elle à la rentrée ? Mais ce n’est clairement pas son problème.

« Au revoir madame ! » politesse exagérée, air moqueur et insolent accroché au visage,

Jun s’amuse de la situation et l’observe s’éloigner quelques secondes à peine avant que la petite bleue à ses côtés ne reprenne la parole. Ils se connaissent ? Pourtant, l’adolescent est presque sûr de ne pas l’avoir croisée depuis son arrivée à Howalon et il n’a pas pour habitude de traîner avec des enfants encore en primaire. Sauf elle. Cette gamine qui profitait de chaque occasion pour lui demander de l’aide pour devenir plus forte.

Mais il n’a pas forcément le temps de réfléchir davantage à la question, la déclaration adorable de la petite le prenant de court. Cette fois-ci, le sourire du blond se fait attendri tandis qu’il tapote doucement sur la tête bleue près de lui, comme pour la remercier de lui dire quelque chose d’aussi mignon.

« Tu m’as presque manqué toi !  »

Jun se fait taquin, plus ouvert qu’à son habitude. Parce que les enfants, c’est moins compliqué que les personnes de son âge et les adultes. Parce que les enfants, ils ont beaucoup moins de filtres et font moins passer leurs intérêts avant les autres. Et aussi parce que, mine de rien, même s’il avait tendance à soupirer et à râler quand Lio venait lui demander son aide à l’académie Alice, il est content de savoir qu’il connaît quelqu’un. Même si c’est une enfant de neuf ans qui est bien décidée à quitter Howalon.

« D'abord, on va se mettre à l’abri. Je suis trempé. Viens. » Il ne lui laisse pas le choix et ouvre la marche jusqu’à trouver un abri. Ce n’est même pas pour elle qu’il fait ça – même si c’est mieux pour la petite de ne pas attraper froid non plus au final – mais uniquement pour lui. Autant ne pas être trempé encore plus qu’actuellement. « Et d’abord, comment tu t’es retrouvée ici toi aussi ? »

Non pas que cela l’étonne vraiment : si lui avait des problèmes de comportement à l’académie Alice, Lio n’était pas en reste. Mais Jun est quand même curieux. Après tout, il a dû supporter l’académie pendant quatre ans malgré les bagarres et l’insolence.

Nul ne peut apprendre aux autres à se libérer s'il n'a pas commencé à se libérer lui-même.

Et vous, je vous demande quel rôle jouez vous ?

Cette gamine est adorable. Peu importe ce que Jun peut penser d’elle, ce qu’il a pu penser d’elle à l’Académie Alice alors qu’elle le collait, c’est indéniable et il le remarque encore une fois quand le rire de Lio lui tire un sourire en coin. Mais le blond ne dit rien et se contente d’écouter la petite bleue lui raconter son départ de l’Académie Alice en enlevant sa capuche et en passant une main dans ses cheveux. Trempés, évidemment. Comme si une pauvre veste en coton allait le protéger de la pluie. Et instinctivement, il jette un coup d’œil à l’enfant sans rien dire, juste pour s’assurer qu’elle n’est pas trop mouillée elle aussi.  Parce que Jun peut être une sorte de grand frère protecteur des fois. Même sans le vouloir. Et surtout, sans le montrer aux autres. Toujours dans l’ombre.

Les péripéties de la petite bleue et sa façon de les raconter font sourire le lycéen encore plus, entre attendrissement et amusement. Lio est une vraie terreur, il n’y a pas d’autres mots. Sincèrement, Jun plaint ses professeurs, ils vont avoir énormément de travail face à elle.
Mais rapidement, le sourire du blond disparaît quand la petite lui parle d’un éclair qui fait mal. Parce que ce surveillant en question, il le connait très bien. Trop bien malheureusement. Mais aussi parce qu’il ne trouve pas cela normal d’agir ainsi face à une gamine. Oui, Lio est turbulente, mais il y a d’autres moyens de canaliser une gamine de moins de dix ans qu’en lui envoyant de l’électricité pour la mettre ko.

Pourtant, le lycéen ne dit rien. Parce que la petite n’a pas l’air trop dérangée par cette anecdote. Et surtout, parce qu’elle a enchaîné avec la suite en lui montrant son bracelet avant de singer la personne qui lui avait expliqué la raison de cette restriction.

Et puis, un éclat de rire échappe au lycéen quand la petite lui annonce avoir fait peur à son professeur de japonais. Et il finit par répliquer un « Bien joué ! » amusé.
Quel mauvais exemple. Mais Jun s’en fiche. A vrai dire, il est même presque déçu de ne pas avoir vu la scène.

A nouveau, Lio surprend Jun, en lui proposant une barre de chocolat. Pendant une seconde ou deux, le regard du blond glisse de la friandise à la petite, un léger rictus au coin des lèvres. Elle n’a vraiment rien laissé passer quand ils étaient tous les deux à Alice apparemment. Comment aurait-elle pu connaître son faible pour les choses sucrées sans cela ? Bon d’accord, il se baladait souvent avec des bonbons ou des gâteaux, mais dans ses poches, pas souvent à la vue de tous.

« Merci. » dit-il en attrapant la friandise.
Parce qu’il est incapable de résister de toute façon. Parce que c’est quelque chose de sucré, mais aussi et surtout parce qu’il a faim et qu’il a sûrement loupé l’heure du repas avec son escapade.
Alors le lycéen croque dans le chocolat en écoutant la petite lui expliquer qui est Ai. Et il ne peut s’empêcher de reprendre la parole instinctivement quand elle lui annonce qu’elle reviendra récupérer la petite après son départ.

« Tu sais Lio, des fois, certains sont mieux ici que chez eux. » Il ne dira pas que c’est le cas pour lui. De toute façon, qui pourrait le croire en voyant son comportement ici ? Pourtant, il a conscience que beaucoup de possesseurs d’Alice sont mieux ici, pour leur sécurité et celle de ceux qui les entourent. Ou simplement pour leur bien-être. « Tu es sûre qu’elle veut vraiment partir ? »

Il veut s’en assurer, au cas où. Cela serait dommage de sortir d’une académie comme Howalon une petite qui peut avoir besoin d’aide pour contrôle son Alice. Il sait que cela peut être dangereux, après tout, il a bien fini par mettre le feu à une salle de l’académie Alice lui.

« Les chats ? Oui, pourq.. ? » Mais Jun s’arrête au milieu de sa question en voyant ce que fait Lio.
Cette gamine a vraiment compris comment il fonctionne, c’est beaucoup trop dangereux. Pourtant, il ne s’en inquiète pas le moins du monde et retrouve vite un sourire attendri en observant le chaton jouer un instant.

Ne commence pas à t’extasier devant ce chat. Garde ton calme Jun. T’es un mec de dix-sept ans. Pas une gamine de six ans. Tu peux clairement te contrôler.

Malgré tout, l’adolescent s’accroupit et tend par réflexe la main vers la boule de poils créée par Lio pendant que celle-ci repart dans sa rengaine habituelle. Jusqu’à présent, à l’académie Alice, il a réussi à l’esquiver facilement à coup de « Pas maintenant. », « Plus tard. », etc.  Mais il sait qu’elle ne lâchera pas l’affaire si facilement. Et si elle le soudoie à chaque fois avec du sucre et des chatons, il sait pertinemment qu’il finira par céder. Alors il tente une nouvelle tactique, sans grand espoir, mais on ne sait jamais.

« Et si je te dis que tu es sûrement plus forte que ce que tu penses ? »

Il n’en dit pas plus et reporte son attention sur le chat sans se redresser.
Au final, Lio s’est faite transférée bien plus vite que lui, donc a-t-elle vraiment besoin de son aide ? Et puis, elle est assez forte pour exprimer ce qu’elle veut, elle. Alors que lui… Lui, il déverse sa colère de la seule manière qu’il connait et sans s’exprimer pleinement.