« Père, mère, je crois que j’ai un problème… »

C’est de cette façon que l’on a parlé de Jun pour la première fois. Alors qu’il n’est qu’un amas de cellules juste bon à effrayer son adolescente de mère. Un problème. Pourtant, il n’a rien demandé. C’est sa lycéenne de mère qui a cédé aux avances de l’étudiant en échange scolaire du coin. C’est eux qui ne se sont apparemment pas protégés. L’enfant à venir n’est finalement que le résultat.

Fin des cours au lycée pour Maka avant que sa grossesse ne se voit : sa dernière année de lycée se fera à domicile, dans une maison de campagne de la famille. Loin de toutes les connaissances de la famille. La nouvelle ne peut décemment pas se répandre, d’autant plus qu’avec la fin de l’année scolaire, le géniteur du futur petit Jun est déjà reparti eu Europe.

Maka a un problème que ses parents tentent de régler de la seule façon qu’ils connaissent : en préservant l’honneur  et la réputation de la famille. Et Jun, il subit, il ne peut que subir.


« Il est trop bizarre vous avez vu ? Et en plus, j’ai entendu dire qu’il avait pas de parents. »

Jun est en primaire et essaye de s’intégrer comme il le peut. Mais c’est compliqué quand on est un petit blond sans parent qui est élevé par ses grands-parents. Non, par Monsieur le Président et Madame, il n’a pas le droit de les appeler autrement. Jun ne sait même pas qu’ils sont ses grands-parents, il croit ce qu’ils racontent à leur entourage : le petit est le fils de l’épouse d’un cousin éloigné de Madame qui a dû repartir aux États-Unis suite à des problèmes financiers. Monsieur et Madame n’ont fait que l’adopter pour lui assurer un meilleur avenir.
« Qu’ils sont généreux. C’est un geste noble, surtout à leur âge ! » C’est ce qu’entend souvent le petit blond quand il entend cette histoire.

Pourtant… Pourtant, il se sent comme un étranger dans la maison qu’il partage avec le couple. Il ne se sent pas à sa place. Peut-être parce que Monsieur le Président lui en demande trop ? Tiens-toi droit. Obéis. Travaille mieux. Tu dois être le meilleur. Peut-être parce que la froideur de Madame et la distance qu’elle impose le blessent inconsciemment. Je n’ai pas le temps pour ses futilités. Nous en parlerons plus tard. Plus tard, c’est jamais. Jun a fini par le comprendre.

À l’école, ce n’est pas mieux. Il est l’étrange, celui qui ne ressemble pas aux autres, celui qui ne s’intègre pas malgré tous ses efforts. Il dénote parmi ces têtes brunes. Il est différent de ceux qui reçoivent de l’attention. En plus, il n’est pas forcément le plus assidu et le plus sérieux. Lui, il préfère regarder par la fenêtre. L’institutrice n’arrive pas l’intéresser, c’est compliqué.

Malgré les messes-basses, Jun fait mine que tout va bien à l’école. Malgré le comportement de ses tuteurs, il fait mine que tout va bien à la maison aussi. Mais rien ne va, il le sait et cela le met en colère.


« Je suis désolée, mais nous ne pouvons pas le garder dans notre établissement. »

Deux ans. Jun n’aura pas tenu plus de deux ans dans son école primaire. Si, au début, il a pris sur lui pour ne pas réagir à chaque critique, il a fini par répliquer. D’abord avec les mots, et finalement avec les poings. À la maison, c’était la même chose : le petit garçon obéissant a fini par comprendre. Il ne sera jamais assez bien pour Monsieur et Madame. Ils trouveront toujours quelque chose à redire sur son comportement, sur ses résultats. Alors il fait moins d’efforts, juste assez pour les remercier tacitement de continuer à l’héberger. Après tout, d’après ce qu’il sait, il n’est qu’un étranger pour eux, une bonne action pour se faire bien voir aux soirées mondaines où on le traîne.

À la maison, plusieurs solutions ont été mises en place pour essayer de contenir Jun : inscription à des cours privés, inscription à des clubs de sport pour l’aider à se défouler et à se maîtriser. À l’école, le corps enseignant a essayé, lui aussi, avec des discussions au début, puis des sanctions, des entretiens avec ses tuteurs. Et finalement, le renvoi.

Jun est un problème. À sa naissance, pour sa mère. Et aujourd’hui encore, pour tout son entourage. Ça ne peut qu’être de sa faute s’il se bat avec toute sa classe après tout.


« Notre fille revient au Japon après dix ans à l’étranger. Sois respectueux avec elle. »

L’information avait été donnée lors d’un énième dîner en famille beaucoup trop long auquel Jun n’avait pas réussi à échapper. Il faut dire qu’à 10 ans, c’est compliqué de vivre sa vie comme on l’entend.

Quelques semaines plus tard, Maka est effectivement de retour, mais Jun ne la connait pas. Il faut dire qu’ils ne se sont pas revus depuis le départ de la jeune femme pour les États-Unis. Alors, le blond agit comme à son habitude et ignore tout simplement la nouvelle arrivée. Malgré tout, il est obligé de partager des moments de vie commune. Il apprend donc qu’elle s’installe au Japon pour intégrer la compagnie de son père, qu’elle vivra avec eux pendant quelque temps. Il s’étonne de la voir s’intéresser à lui, mais il reste fermé et silencieux. À quoi bon ? Ses  bienfaiteurs n’ont jamais eu d’attention ou d’intérêt réel pour lui, alors pourquoi une parfaite inconnue ?

Finalement, Maka prend un appartement après moins de 3 semaines. Officiellement, Jun ne sait pas pourquoi. Officieusement, il a entendu une conversation qui l’a bouleversé. Il sait, à présent, que Maka est sa mère et qu’elle ne supporte pas d’être sous le même toit que lui. Il a compris que ses tuteurs ne sont que ses grands-parents. Des grands-parents qui ne souhaitent pas l’intégrer à leur famille. Parce qu’il n’est pas assez bien, parce qu’il est un problème.

Jun est toujours un problème aux yeux des autres, même sa mère ne le supporte pas. Alors ce soir-là, il fugue pour la première fois. Aussi loin qu’un enfant de 10 ans peut le faire dans un quartier résidentiel où tout le monde le reconnaît, mais il fugue. Avant d’être ramené à la maison par une voisine trop bienveillante et trop ignorante. Une voisine qui ne voit pas l’enfant blessé et en colère à côté d’elle.


« Vu les derniers événements, nous avons décidé de t’envoyer dans une académie particulière. »

Jun  a treize ans à présent et a été renvoyé d’une autre école l’année dernière. Mais aujourd’hui, ce n’est pas ça le problème. Le problème, cette fois-ci, c’est que l’Alice de Jun s’est dévoilé. Alors qu’il se battait – encore – avec un camarade de classe. Cela aurait pu être une énième bagarre, mais non. Il a fallu que l’Alice de l’autre se déclenche lui aussi. Rien de très grave, juste un Alice de téléportation. Et heureusement pour les deux jeunes ados avaient eu la bonne idée de se retrouver seuls, dans une rue peu fréquentée. Personne n’a donc vu ce qu’il se passait.

Pourtant, les grands-parents de Jun ont été mis au courant. Il faut dire que l’autre est le petit-fils d’un couple d’amis proches. Personne n’a été surpris par l’annonce, sauf Jun qui n’arrivait pas à comprendre ce qui lui était arrivé. Mais il ne dit rien quand Monsieur le Président lui annonce qu’il partira dès que possible pour l’Académie Alice. Il ne sait pas ce que c’est exactement, mais il se dit que c’est sa seule possibilité de quitter la maison dans laquelle il vit.

Si seulement Jun avait su ce qui l’attendait à l’Académie Alice. Il aurait réagi, aurait essayé de convaincre ses grands-parents de le laisser rester ici.


« Nous pensons vraiment qu’un transfert à l’Académie Howalon ne pourrait être que bénéfique pour Jun. »

Ou comment sous-entendre que le transfert est la seule solution pour lui. Il faut dire que les quatre années qu’il a passées à l’Académie Alice n’ont pas été des plus tranquilles. Dès son arrivée, Jun a compris qu’il ne se ferait pas à l’ambiance, au corps enseignant et très peu aux élèves. Alors Jun a continué à être Jun le problème. Insolence, bagarres, absences répétées aux cours… Il est même très étonné que l’administration lui ait laissé la possibilité de rester pendant toutes ces années.

Mais il faut avouer que sa dernière frasque a scellé son avenir à l’académie, et pourtant, ce n’était pas – complètement – de sa faute. D’accord, il avait été pris dans une énième bagarre, pourtant, il n’avait pas porté le premier coup et n’avait fait que se défendre. Mais est-ce de sa faute si le contrôle de son Alice n’est pas encore très efficace et s’il a copié celui de son adversaire sans le vouloir ? Est-ce de sa faute s’il a mis le feu à la pièce dans laquelle ils se trouvaient tous les deux ? Aux yeux de Jun, la réponse est simple : non, il n’a fait que se défendre. Aux yeux des autres, que cela soit la directrice ou ses grands-parents, la réponse est claire aussi : Jun est le problème, il faut l’éloigner.

Jun n’a pas le choix alors il part à Howalon, même s’il sait très bien que cela se passera de la même façon. De toute façon, cela se passe toujours de la même façon.