Sourire sur les lèvres,
niais
on sait tout de suite à qui tu parles, Tetsu.
Heureusement qu'Haru n'est pas là, tu es sûr.e que c'est ce qu'il te dirait – au courant de tout, le Haru, parce que parfois tu as encore besoin de sa vision d'enfant sur ta vie d'adulte.

T'es penchée sur tes cours depuis trop longtemps maintenant, tu sentais le mal de crâne pointer le bout de son nez alors tu as proposé de se voir maintenant. Viens vite comme s'il était pressé de te voir et ça fait battre ton cœur un peu plus vite, un peu plus fort – tu te dis que tu as peut-être un espoir, une chance.
Peut-être qu'il ressent plus qu'il ne veut bien l'admettre ; trop fier, trop triste aussi pour se rendre compte de toute la beauté qu'il peut porter en lui.

T'as rangé tes affaires et mis tes chaussures le plus rapidement possible, pour te diriger vers l'extérieur de l'académie. La prairie ne t'a jamais mise à l'aise, les chuchotements des fleurs qui te font penser à des rumeurs farfelues, mais tu trouves qu'elle correspond plutôt bien à Jessie. Sourire lorsque tu aperçois sa chevelure blonde de loin, tu t'avances, les fleurs tourbillonnent autour de toi et te font rire un peu, le vent te caresse la peau, tu te sens bien.

« Quoi qu'il arrive, je te trouverais. » Confirmes-tu à ses drôles de salutations, comme une promesse à peine muette. Tu viens t'asseoir à ses côtés, proche, tu lisses ta jupe, tu veux être sûre de te montrer sous ton plus beau jour. « Qu'est-ce que tu lis de beau ? » Parce que toi aussi, tu aimes lire ; un point commun de plus qui te tire un sourire, qui te fait dire que vous êtes faits pour être ensemble (mirage, mirage, comme si tu étais dans un conte de fées).

Et les fleurs murmurent autour de vous, certaines avec tendresse, d'autres avec amusement. Les fleurs d'ici ne sont pas si différentes des humains de la salle commune – ici aussi, les rumeurs vont aller bon train, mais elles ont au moins le mérite d'être plus jolies que certaines autres personnes.

Assis.e au milieu du champ de fleurs, assis.e au milieu des murmures, tu te laisses découvrir son univers. Ton regard tombe sur le livre qu'il te montre, qu'il t'explique, des histoires d'horreur, des histoires qui font peur, tu n'as jamais été une grande fan, quoi que tu ne t'y es jamais vraiment intéressée. Mais soudain, ça le devient, intéressant ; par ses mots, parce qu'il s'y intéresse lui aussi, tu as soudain envie de le lire aussi ce livre, de le découvrir comme lui, parce qu'il l'aime bien. C'est bizarre que Jessie te dit et tu n'as jamais aimé ce mot, bizarre, parce que c'est ce qu'on te dit bien trop souvent – que tu es bizarre, avec tes histoires d'orientation et de genre pas homme pas femme. Cette fois, ça te fait sourire, pourtant.

Sourire, car tu as une idée, soudain. Une idée qui te fait monter le rouge aux joues rien qu'à l'imaginer, mais une idée quand même.

« Et si je lisais en même temps que toi, par-dessus ton épaule ? » Et t'oses la dire à haute voix, cette idée ; t'imaginer collé.e tout contre lui, ça te rend tout chose, mais tu en as envie. Et tu sais qu'il n'a pas fini le livre, il y a toujours son marque-page qui dépasse un peu, tu sais qu'il n'a pas fini et ce sont des histoires courtes, c'est le moment d'en profiter, que tu te dis. Tu pourrais pas faire ça avec un roman long, prendre l'histoire en plein milieu, mais là, c'est parfait.

Tes pupilles viennent chercher les siennes, tu attends son accord pour faire quoi que ce soit, un sourire timide qui vient étirer tes lèvres.

« Promis, je ne te dérangerais pas. »

T'es pas sûr.e d'avoir pris la bonne décision. T'es pas sûr.e de toi, tu te dis que tu tentes peut-être trop ta chance, qu'il n'est pas encore prêt à te laisser entrer dans son intimité. Lire un livre par-dessus son épaule, c'est comme entrer dans sa bulle ; c'est découvrir son monde à lui. Ca ne fait que quelques jours que tu t'es réellement approché.e (que tu l'as embrassé) et tu te sens peut-être pousser des ailes.

Pourtant, il écarte les jambes. Ce sourire sur son visage, le fameux, taquin, amusé, comme un gamin qui joue exactement au jeu auquel il voulait jouer.

Des flashs apparaissent derrière tes paupières – l'idée d'être proche d'un homme, d'être vulnérable entre ses bras, entre ses jambes, offerte à son cou offerte à ses coups. Tu inspires longuement pour refluer la panique, pour faire taire la paranoïa – parce qu'elle n'a pas sa place ici, pas maintenant, parce que Jessie n'est pas comme ça.

Parce que tu es en sécurité ici, qu'on te protégera forcément si jamais ça arrive ; mais ça n'arrivera jamais.

N'est-ce pas ?

Paranoïa te dit qu'il peut, que tu ne le connais pas, après tout, ou très peu, trop peu, qu'il peut te faire n'importe quoi et

tu te redresses pour t'installer une bonne fois pour toutes, pour qu'elle se taise, que les flashs disparaissent. « Fais-moi découvrir ton talent, alors. » Souris-tu alors à ton tour, mais tu ne peux t'empêcher de rajouter : « Juste... Pas de gestes brusques, s'il te plaît. » Souffle sur la fin de la phrase, tu t'en veux d'avoir encore une fois cédé à tes démons mais
tu n'aurais pas été capable de te tenir là
si tu ne l'avais pas prévenu un minimum.

Tu te dis que tu n'aurais pas dû.

Tu as attisé sa curiosité et tu le regrettes. Pas vraiment prête à en parler, même si tu luttes encore contre les cauchemars tous les soirs - même si tu es suivi.e, pour ça et pour d'autres choses. Tu as du mal à poser des mots dessus, à rendre ça réel, tangible, un souvenir que tu pourrais toucher du bout des doigts - et qui se fait aussi douloureux qu'un coup de poing dans le ventre.

Tes doigts reviennent lisser ta jupe, la froisser puis la lisser encore. Tu gagnes des secondes le temps de trouver quoi dire sans briser la bulle qui vous entoure, sans tout gâcher, tout déprimer. Tu ne veux pas non plus qu'il te prenne en pitié, ça serait encore plus déprimant pour toi.

Tu inspires à fond et ton regard se perd vers les fleurs qui chuchotent à propos de votre potentiel couple et ça te donne la force d'avouer simplement : "Parce que mon père n'était pas quelqu'un de bien." Il mérite de savoir, avant de ne s'avancer dans quoi que ce soit entre vous, ce qu'il s'apprête à affronter : un souvenir lointain mais encore marquant dans ton quotidien.

Tu retrouves alors ton sourire, tu te sens un peu plus légère, tu sais que tu ne diras rien de plus, qu'il fera les déductions par lui-même après ça. "Je t'écoute." Que tu l'encourages alors. Tu tournes la page aussi vite qu'elle a été ouverte, mais tu sais que vous reviendrez sur ce chapitre plus tard, lorsque le moment se présentera.

Tu te sens plus légère.
Peut-être ne devrais-tu pas.
Peut-être qu'il va te prendre en pitié et
Tu ne voulais pas qu'il te regarde comme les recruteurs de l'académie t'ont regardé lorsqu'ils sont venus te chercher, tu ne voulais pas qu'il te voit comme un petit animal faible et blessé mais comme une personne forte qui peut le faire se sentir meilleur.

Tu ne veux pas de tout ça alors ton cœur s'affole lorsqu'il te dit qu'il va poser sa main sur ton crâne, ce qu'il fait avec toute la douceur du monde entre ses doigts. Tu profites du contact, pas loin de te frotter contre sa paume comme un chat - tu te retiens de justesse, ne veux pas paraître bizarre, mais peut-être que ca lui plairait, que tu sois toi, tu ne sais pas, tu penses trop.

Tu es absorbé.e par son regard dans le sien, il ne te lâche pas et tu te sens chavirer sous ses pupilles.

Il s'approche un peu plus, il est près, très près, trop pour ton pauvre cœur qui s'affole dans ta cage thoracique. Tu te demandes bien ce qu'il te veut, pourquoi il te fait ça en sachant parfaitement quel effet il te fait, comment il te fait frémir.

Jusqu'à ce qu'il te dise qu'il va t'embrasser.

Ton souffle se coupe - disparu, envolé.

Et ses lèvres se posent,
Papillons dans ton ventre
Tes yeux se ferment et tu le lui rends, ta main qui vient chercher la sienne, la serrer
Lui dire merci.
Merci d'être là, d'être toi.

Lorsque vous vous décalez, c'est à ton tour de plonger ton regard dans le sien et tu déclares : "Je suis peut-être pas encore amoureuse... Mais j'ai très envie de le devenir." Sourire rayonnant, tu reviens voler ses lèvres pour quelques secondes de plus.

Désormais trop occupée à l'embrasser pour penser à la lecture.